L’ approche produit, levier de transformation des grands groupes !
« Mode produit », « Organisation produit », « Culture produit » … Ces dernières années est apparu tout un ensemble d’expressions rattachées à la notion de « produit », entraînant amalgames et difficultés de compréhension. Leur point commun : toutes reflètent le rôle et l’impact croissants que joue au sens large le « produit » au sein des entreprises, une tendance de fond qui semble bien partie pour durer.
Une « approche produit » ?
Par « produit », comprenons l’écosystème de produits et services numériques (sites web, applications mobiles, intranet, systèmes internes, CRM, etc.) et par extension, l’ensemble des expériences qui y est associé, qu’il soit destiné aux utilisateurs internes ou externes.
Une « approche produit » correspond à la mise en œuvre d’un cadre organisationnel plaçant le « produit » au cœur de la démarche de conception, en s’assurant qu’il concourt au mieux à l’atteinte des objectifs stratégiques de l’entreprise. Cette « centricité » du produit constitue aujourd’hui le cœur différenciant de la proposition de valeur d’une entreprise.
Afin d’accompagner le développement des équipes pluridisciplinaires en charge du produit, de nombreux ouvrages proposent depuis une quinzaine d’années techniques et approches en tout genre pour parfaire la façon de le concevoir et le déployer. Mais cette littérature, principalement fondée sur des exemples issus de startups et scaleups, la plupart du temps nord-américaines (pour ne pas dire cantonnées à la Silicon Valley), ne dit pas grand-chose de l’écosystème organisationnel nécessaire pour importer et mettre en œuvre ces recettes de façon tangible et durable dans le quotidien opérationnel. Ce manque est d’autant plus criant pour les grands groupes dont les structures organisationnelles sont anciennes et complexes.
La culture grand groupe, un frein à l’approche produit ?
Plusieurs spécificités rendent effectivement la mise en place d’une approche produit plus difficile au sein des grands groupes. Parmi celles-ci, citons :
- Une activité historique non digitale avec des modèles d’affaires historiques structurés sur des activités hors-digital et des cultures internes héritées de plusieurs dizaines voire centaines d’années d’existence.
- Des structures organisationnelles complexes intégrant plusieurs centaines voire milliers d’employés, de nombreuses couches hiérarchiques, ralentissant de fait les prises de décisions et la mise en place d’équipes produit.
- Des systèmes IT anciens, le fameux « legacy », matériels et logiciels devenus obsolètes ou dépassés qui continuent d’être utilisés en raison de l’investissement antérieur et de la complexité de la transition vers de nouvelles technologies, limitant la capacité d’une organisation à s’adapter aux changements.
- Une gestion du changement difficile à mener, conséquence de tous les points évoqués ci-dessus, rendant complexe l’évolution des façons de s’organiser et de travailler ensemble.
Mais toutes ces spécificités ne peuvent être, et ne sont pas, une fatalité. Et plusieurs indicateurs de marché semblent justement montrer que les grands groupes doivent impérativement relever ces défis.
2023, une année charnière pour les grands groupes
Parmi ces indicateurs, citons notamment :
- Augmentation de la part des revenus issus du digital, amenant des entreprises historiques ayant des activités hors-digital à considérer désormais le digital, et donc tous les produits relevant de son périmètre, comme une source majeure, parfois majoritaire, de revenus. Avec tout ce que cela implique en termes d’organisation interne et de changement d’état d’esprit.
- Incertitudes liées à l’instabilité du monde actuel, obligeant les grands groupes à développer leur capacité de réaction rapide et d’adaptabilité et ce, à tous les niveaux de leur organisation.
- Limites des transformations agiles, qui amorcées depuis quelques années, se sont parfois essentiellement concentrées sur l’optimisation « mécanique » du mode de fonctionnement des équipes (souvent dans les départements IT), sans se soucier du plus important : la qualité de l’expérience proposée aux utilisateurs, l’impact business des produits et l’implication des équipes « métiers » qui en sont pourtant les garants.
- De nouvelles attentes par rapport au monde du travail, sujet crucial en cette période de pénurie de main d’œuvre. Une tendance qui oblige les grands groupes à créer du sens entre les ambitions affichées et les moyens mis en œuvre, ce qui induit la mise en place d’organisations dans lesquelles chacun pourra exprimer son plein potentiel et mesurer l’impact de ses actions tout en équilibrant vie professionnelle et vie personnelle.
La question fondamentale devient alors de s’interroger sur la meilleure façon d’amorcer une approche produit au sein d’un grand groupe. Car de toute évidence, ce qui marche assez naturellement dans un environnement startup et scaleup nécessite une démarche particulière lorsque l’on évolue dans un grand groupe.
Grand groupes : les 3 leviers d’une approche produit
Les retours d’expériences que nous avons menées chez nos clients montrent qu’une approche produit au sein d’un grand groupe doit faire vivre, de façon adaptée à son contexte, trois dimensions particulières :
1. La structuration des équipes autour du produit
Dimension souvent adressée en priorité car les équipes produit sont la pierre angulaire du développement Agile, celles grâce à qui la valeur se crée et s’écoule entre les mains des utilisateurs. Sans la capacité à livrer fréquemment des incréments de solutions, inutile d’aller plus loin dans la mise en place de son approche produit. Votre usine de « delivery » doit notamment veiller à :
- Regrouper les équipes autour des produits, au service des chaînes de valeur.
- Adopter une approche transverse de l’architecture technique des solutions.
- Mettre en place un mode de fonctionnement commun (rituels de planifications et démonstrations communes, harmonisation des durées de cycles de développement, identification amont des dépendances, etc.).
- Structurer le process de gestion des demandes entrantes.
- Harmoniser l’outillage et les templates utilisés.
- Former, clarifier les rôles, disposer de process structurés d’onboarding et d’offboarding.
La mise en œuvre de cette dimension, soutenue par une direction IT ou digital, aura un impact significatif sur l’accélération du delivery, l’engagement des équipes et l’embarquement des différentes parties prenantes (notamment « métiers »).
2. La connexion des équipes produit avec la stratégie d’entreprise
Une dimension essentielle pour franchir un cap en évitant l’impair organisationnel consistant à « agiliser » ses équipes de production sans pour autant « agiliser » leur alimentation, en créant les conditions pour aligner l’ensemble des ressources de l’entreprises sur la valeur délivrée par le produit. Il est donc essentiel de mettre en place au niveau de la gestion des portefeuilles d’initiatives et des directions métiers des activités visant notamment à :
- Comprendre les thèmes stratégiques de l’entreprise et leurs objectifs business.
- Identifier et explorer en amont les initiatives les plus prometteuses.
- Connecter ces initiatives aux équipes de production grâce à des visions inspirantes.
- Piloter et mesurer l’impact business attendu (OKR).
- Mettre en place une approche lean de gestion de portefeuilles d’initiatives et de leur financement.
La mise en œuvre de cette dimension, soutenue par une direction « métiers » (business, marketing, RH, direction générale essentiellement), aura un impact significatif sur la réactivité de l’entreprise, la réduction du time-to-market et l’optimisation des budgets alloués.
3. Le renforcement du volet centré utilisateur
Une dimension souvent évoquée mais rarement mise en œuvre de façon tangible au sein des grands groupes. Les équipes UX & Design sont pourtant des leviers extraordinaires, encore trop souvent mal exploités et arrivant trop tard dans la chaîne de conception, lorsque les principales décisions techniques et fonctionnelles ont déjà été tranchées, au détriment d’une expérience utilisateur de qualité. Dès lors, il est essentiel de s’assurer de :
- Optimiser les workflows et outils des équipes UX en s’assurant de leur bonne intégration dans le mode de fonctionnement des équipes produit (dont elles devraient pourtant faire intégralement partie !) et même au-delà (dès les phases amont).
- Opérationnaliser à l’échelle les activités de recherche utilisateur, en démocratisant au maximum l’exploitation des données collectées.
- Intégrer la « discovery » au « run » des équipes produit, en sachant utiliser de façon judicieuse les ressources de l’écosystème.
- Encourager l’omniprésence des tests et retours utilisateurs à tous les niveaux de l’organisation, notamment lors des explorations amont des initiatives stratégiques.
La mise en œuvre de cette dimension, soutenue par une direction UX ou design, aura un impact significatif sur la satisfaction client, la qualité de vie au travail des équipes UX et l’alignement sur la valeur à travers l’ensemble de l’organisation.
L’approche produit, nouveau relai de croissance pour les grands groupes
Chacune de ces dimensions pourrait faire l’objet d’un article à part entière. Il n’existe pas de vérité absolue sur le bon dosage de dimensions à mettre en œuvre : c’est à chaque organisation de créer son propre parcours, en veillant à bien les adapter en fonction de son contexte.
Néanmoins, avec des interlocuteurs identifiés pour chacune des dimensions, des attentes croissantes exprimées par les ressources travaillant au sein des organisations et surtout une discipline, le product management, incarnée par un rôle ayant de plus en plus d’impact au sein des organisations, le product manager, il n’y a plus d’excuse pour détourner son attention de cette tendance de fond qui va structurer les entreprises de demain.
2023 constitue une opportunité extraordinaire pour amorcer cette transformation qui doit naturellement s’intégrer au mode de fonctionnement actuel de votre organisation tout en lui permettant d’aller plus loin. Et faire de la période actuelle une opportunité de développement et de croissance durable.
Adrien Hembert, Partner et Directeur