Comprendre et utiliser le modèle CMMI #2
Quand, comme nous, vous avez travaillé dans plusieurs entreprises, vous aurez peut-être observé deux phénomènes récurrents :
- Toute entreprise met en œuvre continuellement des démarches d’amélioration de sa manière de travailler, pour améliorer la qualité de ses produits ou services, augmenter sa productivité …
- Toutes ces entreprises vivent ces plans de progrès ou d’amélioration comme Sisyphe poussant son rocher : un effort indispensable et monstrueux pour des résultats rarement probants.
Le besoin fait loi…
Le cycle de mise en place de nouvelles pratiques au sein d’une organisation est bien connu. Prenons un exemple pas nécessairement vertueux : parce que l’on était « charrette », il a fallu travailler tard le soir… Et s’est posé la question de nourrir ces employés dévoués :
- On expérimente plusieurs solutions. Le livreur de pizzas est rapide, ses produits sont bons. Cette solution satisfait tout le monde.
- On la documente et on l’améliore. Sur le panneau d’affichage de l’équipe, on épingle le prospectus qui petit à petit s’enrichit de commentaires : la meilleure pizza, le pourboire à laisser, …
- Au bout d’un certain temps seuls les nouveaux embauchés ont besoin de regarder le tableau d’affichage. La pratique est totalement ancrée dans les esprits.
- Jusqu’au moment où une rupture se fait : la direction décide de mieux organiser les projets. Les séances de travail nocturnes cessent et le recours au livreur de pizza tombe en désuétude. Seuls les anciens parleront avec nostalgie du bon vieux temps et de ces pizza parties si créatives et motivantes…
… mais la loi, ce sont les chefs qui l’écrivent !
Tout cela peut avoir l’air très spontané. Mais pour que cela ait pu se mettre en place, il a fallu un soutien actif du management. Des règles ont été fixées (pas d’alcool, locaux propres, …), des moyens mis à disposition (coin repas, poubelle, …), des responsabilités définies. Il a fallu s’assurer que le gardien de nuit était au courant, contrôler qu’il n’y avait pas de dérives et que les résultats attendus étaient au rendez-vous. Et puisqu’ils l’étaient, féliciter tout le monde…
« Quand l’habitude se contracte, on ne peut plus s’en passer » (Sénéque)
C’est ce sujet du soutien du management et de la structure qu’aborde l’un des Domaines d’Aptitude du CMMI : « Pérenniser les Habitudes et la Constance » (en anglais SHP : Sustain Habit and Persistance »).
L’habitude c’est une pratique dont on a du mal se passer. C’est un terme qui n’est pas très bien valorisé dans des périodes où découverte, imagination prennent le haut du pavé. Pourtant, derrière ce mot, il faut voir la capacité à faire quelque chose simplement, sans délais et efforts superflus de mise en place.
La constance, c’est l’obstination à faire quelque chose quelles que soient les circonstances. Quand les conditions sont dures, on a vite tendance à vouloir laisser tomber certaines activités pour se concentrer sur les actions de survie immédiate. Quitte à s’apercevoir plus tard des problèmes que cela pose…
Le Domaine d’Aptitude SHP est construit autour de 2 Domaines de Pratiques : GOV -Gouvernance- et II- Infrastructure de mise en œuvre (en anglais Implementation Infrastructure).
- II (Infrastructure de mise en œuvre) décrit la déclinaison opérationnelle dans l’entreprise et dans ses projets des processus et outils dont elle dispose. Sa valeur créée se mesure dans la capacité à atteindre constamment les objectifs fixés de manière efficace et réelle.
- GOV (Gouvernance) concerne le « senior management ». Il doit augmenter la probabilité d’atteindre les objectifs de l’entreprise en mettant en place au meilleur coût possible les processus qui vont y contribuer.
Comme nous vous l’avons expliqué dans notre premier article, les pratiques de GOV s’organisent en quatre groupes de maturité croissante.
« Savoir où on veut aller c’est très bien, mais il faut encore montrer qu’on y va » (E.Zola)
Au premier niveau, GOV a pour rôle de donner du sens aux activités demandées : que doit-on faire, quelle démarche est choisie pour atteindre les objectifs ? Qu’est-ce qui est important et qu’est-ce qui est secondaire ? Par exemple, la date de livraison est vitale, les horaires de travail deviennent secondaires.
Le deuxième niveau ajoute deux dimensions essentielles à la mise en place d’une culture d’entreprise :
- D’une part la formalisation des directives de fonctionnement et la mise en place des investissements (moyens et humains, en particulier formation) qui vont permettre d’appliquer ces directives. Mon management me demande quelque chose : c’est clair, je sais le faire et j’ai les moyens de le faire.
D’autre part, la mise en place des canaux qui vont permettre de suivre la mise en œuvre de ces directives, et l’atteinte des objectifs : Mon management me demande quelque chose : il suit mon travail, et sait reconnaître quand je l’ai fait correctement et avec succès.
Le troisième niveau enrichit le précédent par une dimension essentielle : la mesure de la performance des processus. Elle va permettre de suivre leur mise en œuvre, et de faire des choix d’amélioration. Les mesures – productivité des équipes, nombre de défauts, … – sont utilisées pour affiner les méthodes de travail et garantir qu’elles restent en ligne avec les objectifs de l’entreprise.
Au quatrième niveau enfin les améliorations sont choisies sur la base d’une analyse statistique de la performance mesurée. Une étude est mise en place pour analyser la productivité. On constate que pour les projets ayant recours aux sessions nocturnes, un cercle vicieux s’installe : l’augmentation immédiate de la productivité se paye par la fatigue des équipes, une baisse de la productivité dans les semaines suivantes … et de nouveaux retards. Un nouveau processus est mis en place pour mieux suivre les jalons et diminuer le recours à ces rushes épuisants.
On voit donc dans le modèle CMMI le lien fort qui existe entre la gouvernance, l’amélioration des processus et la gestion de la performance. Notre prochain article détaillera comment cette gestion de la performance se place au cœur du modèle CMMI 2.0.
Par Laurent Boidot, Consultant