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L’exploration continue, composante indispensable au service de l’organisation apprenante

Dans un article précédent, j’évoquais la pertinence d’intégrer des activités design thinking dans un contexte Agile à l’échelle. Un des niveaux sur lequel cette intégration peut prendre forme est celui de la couche programme, c’est-à-dire les unités organisationnelles en charge de faire le lien entre gestionnaires de portefeuilles et équipes opérationnelles. À ce niveau, SAFe évoque l’exploration continue comme un ensemble d’activités favorisant innovation et alignement sur les solutions à développer en explorant continuellement le marché et les besoins des utilisateurs et en définissant une vision, une feuille de route et un ensemble de fonctionnalités pour les solutions répondant à ces besoins.

L’exploration continue a donc plutôt de quoi séduire en théorie car ses bénéfices semblent évidents. Mais quels enseignements peut-on tirer lors de sa mise en pratique concrète au sein d’une organisation réelle ?

Dans cet article, vous trouverez un éclairage sur quatre points de bon sens. Il convient de les garder à l’esprit lorsque l’on souhaite en tirer un bénéfice maximum lors de sa mise en œuvre.

Une activité pluridisciplinaire et transverse

Trop souvent, l’exploration continue est mal comprise. Elle ne se limite pas qu’aux champs d’intervention des UX designers avec le travail de collecte et de recherche des besoins utilisateurs. Sa portée est bien plus large. En effet, si son objectif ultime est d’aligner les différents participants sur les « bonnes » choses à développer à un instant donné (« Is that the right thing to build now ? »), l’exploration implique également un travail de préparation et de structuration des fonctionnalités.

Par conséquent, plusieurs activités complémentaires sont à mener comme, par exemple des analyses au niveau de l’architecture, de l’infrastructure ou de la sécurité, ce qui signifie l’implication d’acteurs divers tels qu’architectes de solution, membres de la system team ou développeurs.

La portée des sujets à explorer étant par définition inconnue, c’est potentiellement n’importe quel membre des équipes qui pourrait être sollicité afin d’apporter son expertise spécifique, sans oublier la sollicitation de personnes extérieures aux trains (utilisateurs finaux, experts externes, etc.).

Le casting des participants aux ateliers d’exploration est donc un sujet important. Il convient de l’aborder sérieusement et de façon spécifique à chaque nouveau thème à explorer. A ce sujet, les critères de pluridisciplinarité et de taille des groupes sont à respecter :

  • Pas trop petits pour s’assurer de générer des idées riches et variées
  • Pas trop grands non plus pour garantir la qualité des échanges, l’écoute et le partage de la connaissance.

De façon générale, un groupe d’environ dix personnes fonctionne bien, sans que ce chiffre soit une règle absolue.

L’exploration continue nécessite une démarche structurée

Il faut se rendre à l’évidence : la mise en œuvre de l’exploration continue soulève encore quelques doutes au sein des organisations. Ils sont fondés notamment sur la peur d’y passer beaucoup de temps sans obtenir de résultats tangibles. Sans une méthodologie structurée, un leadership fort et une prise de conscience collective, il sera effectivement très difficile de bien la mettre en œuvre.

L’intérêt d’une approche structurée permet d’amener tout le monde à avoir le même langage sur la manière avec laquelle doit être conduite l’exploration. Il est essentiel d’avoir ce langage commun. Tout le monde peut y contribuer au mieux en comprenant ce qui est attendu de chacun ; quel que soit son rôle dans ou hors du train.

Sensibiliser en continu

D’un point de vue méthodologique, une sensibilisation en continu doit avoir lieu auprès des trains et du management. C’est nécessaire afin de leur faire prendre conscience de l’importance de l’exploration continue et des bénéfices qu’elle génère. Des interventions doivent notamment avoir lieu dès les PI planning :

  • Identifier auprès des équipes les nouveaux sujets à explorer (une première identification de sujets aura eu lieu avant le PI planning avec l’équipe de Product Management).
  • Spécifier ces sujets en définissant les livrables attendus et les dépendances éventuelles avec d’autres équipes.
  • Faire valider par le Product Management la pertinence d’explorer tel ou tel nouveau sujet.
  • Mettre en place le plus rapidement possible un calendrier d’interventions pour intervenir sur ces sujets.

C’est ensuite durant tout le PI que des ateliers ad’hoc peuvent être menés pour adresser les sujets à explorer. L’intervention de facilitateurs externes peut s’avérer nécessaire pour mener ces activités. Au-delà de l’apport méthodologique, ils pourront garantir une neutralité sur le contenu qui permettra à tous les participants de se concentrer sur le sujet de fond.

Comme toute activité de production, les activités liées à l’exploration doivent :

  • posséder des objectifs clairs
  • se limiter dans le temps

Ses résultats doivent être présentés lors des démos de fins d’incréments : c’est une question de crédibilité !

L’exploration continue est un choix stratégique à assumer !

Autre point à souligner concernant la mise en œuvre de l’exploration continue au sein des trains : celle-ci demande (un peu) de temps. Si la présence d’une méthodologie permet de faciliter sa mise en œuvre (cf. le paragraphe précédent), c’est bien au niveau de l’état d’esprit des membres des équipes du train et du management que doit s’opérer une prise de conscience sur l’importance de consacrer du temps à l’exploration.

Sur un produit très innovant, ce temps peut occuper une majeure partie de la capacité du train. Par contre, ce sera naturellement moins le cas pour des produits établis sur des marchés matures pour lesquels un peu d’innovation incrémentale peut suffire.

Dans tous les cas, c’est un choix stratégique à faire. Qui dit choix, dit forcément renoncer à faire autre chose (en l’occurrence des activités de production). Les équipes sont autonomes sur ce choix et il serait faux de penser qu’une méthodologie permet de « libérer » du temps. Il est donc essentiel qu’une culture assumée de l’exploration continue se mette en place au sein de l’organisation afin de permettre aux équipes de réserver du temps au sein de leur backlog.

Ce temps, perçu parfois comme une perte, est en réalité un investissement sur la qualité des développements ultérieurs, la pertinence des fonctionnalités développées mais aussi la motivation des équipes.

L’exploration continue renforce la motivation des équipes et l’innovation au sein de l’organisation

Ne pas se donner les moyens de mettre en œuvre l’exploration, c’est faire en sorte que vos équipes ne travaillent que sur des sujets d’exécution immédiate sans jamais leur laisser prendre le temps de réfléchir à là où elles veulent aller. À moyen terme, cela constitue une double menace pour l’organisation :

  • Un risque réel d’essoufflement, de perte de sens et de démotivation des équipes. Les dangers sont évidents tant d’un point de vue humain qu’en termes de productivité.
  • Une occasion gâchée de laisser s’exprimer la créativité des équipes. Ayant les mains dans le produit à longueur de journées, il est difficile d’apporter de vraies innovations.

Dans un contexte de guerre des talents et de course à l’innovation, ce sont deux éléments à ne pas négliger !

Des bénéfices multiples

Partage de la connaissance au sein de l’organisation, responsabilisation et motivation des équipes, cocréations plus rapides de solutions répondant mieux aux nouvelles attentes des utilisateurs : les bénéfices de l’exploration sont divers et concernent le plus grand nombre !

Mais au-delà de tous ces bénéfices, il faut percevoir l’exploration continue comme un levier d’innovation et de transformation culturelle durable de l’organisation. C’est par cette activité que celle-ci se met en capacité d’apprendre en continu sur ses clients, leurs usages, et sur l’adéquation de la solution. Elle ne se met pas en place sans une action consciente, explicite et durable. Les managers doivent donc la porter et la soutenir. Si la recette paraît simple sur le papier, il ne faut pas sous-estimer l’importance d’avoir un leadership fort et une méthodologie structurée afin de la mettre en œuvre.

En identifiant l’exploration continue comme l’une des trois composantes du pipeline de delivery des trains de release agile, SAFe donne une place de choix à l’innovation et à l’apprentissage continu. Il appartient à chaque organisation qui l’implémente de lui donner corps. Notre conviction est qu’au-delà du concept, le design thinking offre une réelle opportunité pratique de le faire à grande échelle. Encore faut-il rester attentif aux quatre points évoqués ci-dessus.

Adrien Hembert, Directeur Produit

Publié le 01/10/2022