Le RTE ou Release Train Engineer : pilote ou sauveteur ?
Le rôle de Release Train Engineer (RTE) est crucial dans les organisations qui adoptent l’agilité à grande échelle, notamment dans le cadre de SAFe (Scaled Agile Framework). Cependant, ce rôle, souvent considéré comme le « chef d’orchestre » du train de livraison, est confronté à de nombreux anti-patterns. Bien que l’objectif principal du RTE soit de coordonner la livraison et d’aider l’équipe à gagner en autonomie, beaucoup se retrouvent dans des postures contre-productives. Quels sont les pièges que le RTE rencontre couramment ? Comment les éviter afin d’aider l’organisation à, véritablement, prospérer ? Eléments de réponses !
Les Anti-Patterns du RTE
1. Le RTE « sauveur » : le syndrome du pompier de service
Un des pièges les plus fréquents est la tendance du RTE à se comporter comme un « sauveur ». En se retrouvant dans une spirale où les problèmes et les urgences s’accumulent, le RTE peut se voir contraint d’éteindre des feux, de résoudre des problèmes en série et de gérer des crises de dernière minute. Cela crée un climat de dépendance où les équipes s’attendent à ce qu’il prenne en charge toutes les situations. Bien que cette approche puisse sembler bénéfique à court terme, elle devient rapidement contre-productive. En se positionnant comme « sauveur », le RTE empêche l’équipe de développer son autonomie et son sens des responsabilités.
2. Synchro et Delivery : quand la coordination prend le dessus
Le deuxième anti-pattern concerne un RTE qui se retrouve submergé par la synchronisation des équipes et la gestion du delivery. En s’occupant constamment de coordonner le flux de travail, de respecter les délais et d’assurer la communication entre les différentes parties prenantes, il perd souvent de vue son rôle de coach.
Pourquoi cela se produit-il ? La réponse se trouve dans plusieurs facteurs :
- Une chaîne de valeur mal conçue qui crée de nombreux points de friction.
- Un manque de maturité et d’autonomie au sein des équipes, ce qui pousse le RTE à prendre en main le delivery au lieu de guider les équipes vers l’autonomie.
- Le RTE essaie de corriger les incohérences du système, compensant ainsi les faiblesses structurelles de l’organisation.
- En raison de l’influence historique de la culture projet, le RTE est souvent perçu, dans l’esprit collectif, comme un chef de programme. Cette perception renforce les attentes concernant son rôle dans la gestion du delivery.
Comment le RTE peut-il s’émanciper de ces anti-patterns ?
Il est essentiel pour un RTE de sortir de ces postures réactives et de se concentrer sur sa véritable mission : construire un système de livraison autonome et efficace. Voici quelques pistes pour y parvenir :
1.Construire une machine à délivrer, autonome
L’objectif ultime du RTE n’est pas de coordonner indéfiniment le delivery, mais de créer un système qui fonctionne de manière autonome. En instaurant des processus clairs, en responsabilisant les équipes et en favorisant l’auto-organisation, le RTE permet à l’organisation de gagner en agilité et en réactivité.
2. Mentores les Scrum Masters
Le RTE doit également jouer un rôle clé dans le mentorat des Scrum Masters. Ce sont eux qui, au quotidien, accompagnent les équipes. En les soutenant dans leur montée en compétences, le RTE établit une chaîne de leadership agile solide, capable de résoudre les problèmes de manière autonome.
3. Aider les Product Managers (PM) et les Solution Architects (SA) à construire des roadmaps réalistes
La construction des roadmaps est souvent un point de tension entre les équipes de développement et le business. Le RTE doit donc aider les Product Managers et les Solution Architects à élaborer des roadmaps réalistes et alignées sur la capacité réelle des équipes, tout en maintenant une vision stratégique claire. Cela permet de réduire les incohérences et de fluidifier le flux de travail.
4. Être au cœur des synchronisations entre les Business Owners et les PM
Le RTE doit également s’assurer que les synchronisations entre les Business Owners (BO) et les Product Managers soient efficaces et orientées vers les objectifs business prioritaires. Cela garantit que la valeur délivrée correspond aux attentes des parties prenantes.
5. Auditer le flux de travail et attaquer les goulots d’étranglement
Enfin, le RTE doit régulièrement auditer le flux de travail pour repérer les goulots d’étranglement qui ralentissent le processus. Cette analyse détaillée met en lumière les les sources de ralentissements pour les équipes, les dépendances qui se transforment en obstacles et les éléments qui freinent la capacité de livraison. C’est principalement grâce à cette activité que le RTE apporte une valeur significative à l’entreprise, car en facilitant la résolution de ces points de blocage, il aide l’organisation à améliorer sa fluidité opérationnelle et à accélérer la livraison de valeur.
En identifiant et en s’attaquant aux goulots d’étranglement, le RTE rend non seulement le processus de livraison plus efficace, mais libère également des ressources (moyens financiers, temps de collaboration …) pour que les équipes puissent se concentrer sur la création de valeur et l’innovation. Cette optimisation a un impact direct sur les résultats de l’entreprise en réduisant les délais de mise sur le marché, en améliorant la qualité des produits livrés et en maximisant l’utilisation des capacités des équipes. Ainsi, l’audit régulier du flux de travail devient une activité stratégique qui, à long terme, renforce la compétitivité et la réactivité de l’organisation face aux évolutions du marché.
Retour d’expérience : le RTE, médiateur inefficace entre hardware et software
Dans une mission, les équipes hardware et software rencontraient des difficultés de synchronisation en raison de contraintes et d’attentes très différentes. On me demandait au de « faire le lien » entre les deux, ce qui semblait être une approche constructive.
Cependant, dans la pratique, les réunions se résumaient souvent à mettre la pression sur le software (le train sur lequel j’étais RTE), pour qu’il réponde aux besoins du hardware dans des délais stricts, imposés unilatéralement. Ces réunions de pilotage se sont transformées en sessions de contrôle du hardware sur le software, sans tenir compte des contraintes techniques ou des capacités réelles de l’équipe software.
Face à cette situation, j’ai décidé de réorganiser mon emploi du temps : au lieu de consacrer 2 à 3 heures par semaine à des réunions de reporting peu productives, j’ai choisi de me concentrer sur l’amélioration de la performance globale de la « machine à délivrer ».
En agissant ainsi, j’ai cherché à fluidifier les processus et à soutenir les équipes pour qu’elles puissent améliorer leurs pratiques de manière autonome. Cette décision a permis de mieux répondre aux objectifs à long terme du programme, mais elle met également en lumière la tentation du rôle de « sauveur » : il aurait été facile pour moi de m’impliquer davantage dans la pression de synchronisation, mais cela aurait freiné l’autonomisation des équipes.
Du Pilote, Sauveteur à Architecte de la Réussite
Le rôle de Release Train Engineer ne devrait pas être cantonné à celui d’un simple « pompier » ou d’un coordinateur de livraison, même si l’organisation a souvent tendance à privilégier cet aspect. Bien que les attentes collectives poussent le RTE vers des responsabilités de gestion de crises et de coordination directe, il est essentiel qu’il comprenne pleinement l’étendue de son rôle pour redéfinir ses priorités en mettant l’accent sur sa véritable contribution. Le RTE doit avant tout se voir comme un architecte de la réussite collective, en créant un environnement où les équipes gagnent en autonomie et développent leurs compétences pour relever les défis de manière indépendante.
À ce jour, les formations proposées par Scaled Agile (SAFe) sont principalement recommandées pour des RTE expérimentés. Il n’existe pas de format pédagogique spécifique dédié aux nouveaux RTE prenant leurs fonctions, en dehors du mentorat assuré par des Coachs Agiles SPC. Cette absence de formation adaptée rend leur intégration dans ce rôle exigeant plus complexe.
Ce manque de préparation initiale augmente le risque qu’ils reproduisent des anti-patterns par absence de repères clairs. Pour pallier cette situation, il est essentiel que le RTE adopte une posture équilibrée : dans certaines circonstances, il doit incarner les bonnes pratiques en prenant des décisions stratégiques pour orienter l’organisation. Dans d’autres, il doit se positionner en tant que coach, en guidant les équipes et en favorisant leur autonomie. C’est cette combinaison de leadership exemplaire et de soutien actif qui permettra au RTE de contribuer pleinement à la réussite de l’organisation dans l’adoption de l’agilité à grande échelle.
Brian Plus, Consultant