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Donnez du bon sens à votre management : le modèle CACAO

« Les consultants, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. » Et ça ose même paraphraser Michel Audiard pour prendre du recul sur son métier avec une bonne dose d’auto-dérision ! Et ça va même jusqu’à se constituer un portefeuille de formules « tartes à la crème » et dire à qui veut l’entendre qu’on peut utiliser ces formules à tout moment pour éviter de s’endormir, voire briller en réunion sans trop se fatiguer, avant même d’avoir compris le sujet… ou les intégrer à un « bullshit bingo ».

Mes formules préférées

Mes formules préférées, glanées au fil de réunions, séries TV ou publicités, sont :

  • « C’est l’affaire de tous »
  • « Mais il y a objectif et objectif » (remplacer objectif par n’importe quel terme)
  • « C’est une question de curseur »
  • « L’important c’est ce qu’on en fait »

A bien y regarder, cela peut paraître inutile et puéril. Mais si l’on creuse un peu, chacune de ces formules a un vrai sens et une vraie utilité, de sorte que j’en fais, sous l’acronyme anglais CACAO, ma rhétorique de management de projet, de management d’organisation et de conseil, en y ajoutant une bonne dose de GBS (vous trouverez à la fin de l’article la signification de cette ATL, et vous y trouverez aussi la signification de ATL).

C’est l’affaire de tous = « Cooperation » (en français… Coopération)

Que l’on soit consultant, directeur, manager, chef de projet ou même membre d’équipe, on a à cœur de faire travailler des personnes ensemble pour atteindre des objectifs. Je considère que 50% de la performance d’un projet ou d’une organisation tient à l’efficacité des interactions entre les personnes.

Le C de RACI

C’est l’affaire de tous, donc de chacun, mais pas seulement des autres, et ça s’organise : il faut prévoir les rôles, responsabilités et interactions, les planifier, leur allouer du temps et des moyens. En particulier, lorsqu’on établit une matrice RACI (Responsible, c’est-à-dire contributeur majeur / Accountable, c’est-à-dire porteur de l’engagement / Consulted / Informed) pour un ensemble d’activités et de livrables, bien souvent, le R et le A sont évidents et la matrice ne fait que documenter l’organisation pressentie. Mais le C, qui représente les personnes à consulter, mérite une attention particulière, voire prioritaire : ce sont en effet les personnes à consulter, pour leur expertise et leur avis, qui apportent le ciment du projet ou de l’organisation. Les identifier permet de leur allouer du temps, de planifier leurs interventions et donc de s’assurer leur concours. On rencontre notamment cette problématique au moment de traiter des exigences non techniques ou non fonctionnelles, qui requièrent des expertises variées.

L’efficacité des réunions

C’est l’affaire de tous, mais pas tout le temps : une organisation mal pensée conduira à une réunionite aiguë et à une perte d’efficacité. C’est pourquoi il est essentiel de préparer un système de réunions, qui définisse l’objectif, la fréquence, les participants essentiels et ceux à inviter selon l’actualité, l’ordre du jour type mais aussi et surtout les modalités de préparation. Une fois ce système défini, il est souhaitable de le mettre sous amélioration continue, avec des rétrospectives objectives sur la valeur et le temps passé. Il faut considérer que chaque minute de réunion gagnée en temps passé ou en valeur est à multiplier par la fréquence et par le nombre de participants.

Une bonne gestion documentaire

C’est l’affaire de tous, et les moyens doivent suivre, en particulier un système de gestion documentaire efficace, ordonné et entretenu, dans lequel chacun doit pouvoir à tout moment savoir simplement où trouver les documents dont il a besoin et enregistrer ses propres documents. Mettre au point un tel système peut paraître une montagne, alors qu’il s’agit surtout de bon sens. Et l’on n’imagine pas ce qu’il est possible de faire en quelques heures. Mon conseil : essayez !

Des relations constructives

C’est l’affaire de tous, et il faut pouvoir compter sur chacun. Cela passe par des relations collectives et individuelles basées sur la bienveillance, la confiance et la transparence, ces trois valeurs s’alimentant les unes les autres. A chaque fois que possible, je recommande de privilégier un management collaboratif s’appuyant sur des moyens visuels. Enfin, la parole doit précéder l’écrit : on évite les allers-retours d’emails parapluies avec tout le monde en copie.

Il y a « objectif » et « objectif »  = « Alignment » (en français… Alignement)

Il y a exigence et exigence, il y a problème et problème, il y a performance et performance, il y a qualité et qualité…

On s’aperçoit rapidement qu’au sein d’un groupe de travail, un même terme peut être compris différemment par les différents acteurs. C’est parfois une question de nuance ou de limite, parfois une question plus profonde d’acception ou de définition. Sans parler des ATL (Abréviations à Trois Lettres) qui pullulent et ont parfois plusieurs sens.

Définir ensemble

Il est donc important de savoir détecter ces écarts et de les résoudre, d’abord en se mettant d’accord, ensuite en établissant un glossaire qui lève les ambiguïtés. Une définition peut être particulière à un périmètre ou à une période, et il faut alors préciser ce contexte.

Sur un projet, bon nombre d’écarts entre le besoin des utilisateurs, le contrat signé avec le client et les réalisations sont liés à ces ambiguïtés et ont des impacts majeurs en coût, en délai et en qualité, voire en image.

Un langage structuré

Notre formation scolaire a été ponctuée de recommandations rédactionnelles, expliquant qu’un texte devait être agréable à lire, avec des tournures variées et des synonymes ou périphrases pour éviter les répétitions. Ces recommandations d’emploi d’un langage littéraire ne valent pas en entreprise, car elles introduisent beaucoup d’ambiguïtés et d’incompréhensions. Je préconise l’emploi d’un langage structuré : une logique, des phrases courtes, au juste besoin, un même terme ayant toujours une même signification et réciproquement, et donc en le répétant chaque fois que nécessaire.

N.B. : Cette recommandation ne s’applique pas à mon article, elle s’applique à la collaboration au sein d’un groupe.

Enfin, je le répète, la parole doit précéder l’écrit : on se met d’accord sur une compréhension commune puis on enregistre le résultat.

Ce qui n’est pas concret n’est pas exploitable = Contents (en français… Contenu)

J’ajoute aussi le principe ci-dessus à ma collection. Il consiste d’une part à chasser tout ce qui est formulé de manière trop générale, souvent par peur de paraître simpliste ou de devoir effectuer trop de mises à jour, et d’autre part à s’assurer que le pilotage n’est pas une coquille vide et est en place pour servir les produits, le terrain, les équipes opérationnelles.

Elaboration des documents

Premier exemple : un document ne doit pas être une coquille vide recopiant un plan-type, il doit contenir des éléments concrets et applicables. Pour cela, la démarche consistant à collecter autour d’une table les contributions de chacun puis à les injecter dans le plan-type et à les mettre en forme est très efficace.

Risques et opportunités

Autre exemple : le contenu d’un portefeuille de risques et opportunités. On y trouve souvent des expressions rapides, permettant d’évaluer à la louche l’exposition et de déterminer des provisions, mais trop générales et pas assez concrètes pour définir des actions de mitigation efficaces. On perd alors la raison d’être du pilotage des risques et opportunités, en ne gardant que l’aspect financier. Je recommande à tout porteur d’un risque de travailler avec son manager direct à sa formulation, en distinguant clairement l’événement déclencheur, ses causes, ses conséquences et les actions de mitigation possibles. Une petite astuce : s’interdire les mots « risque » et « problème » dans la formulation, ils nuisent à cette distinction. Ce travail en commun donne d’excellents résultats en termes d’exploitabilité, mais aussi cela permet de rapprocher le management du terrain.

Indicateurs

Il en va de même des indicateurs : mettre 3 personnes autour d’une table pour définir un indicateur, en partant de l’objectif de performance ou de pilotage qu’il sert pour aboutir à la manière de l’utiliser pour décider, permet en très peu de temps d’aboutir à une définition intéressante de l’indicateur en termes d’utilité et d’exploitabilité. Et ce, par la simple force d’un petit groupe qui brainstorme de manière structurée et se challenge. N’oublions pas que la finalité des indicateurs est l’aide à la décision.

C’est une question de curseur = « Adjustment » (en français… Ajustement)

En d’autres termes, il faut savoir choisir ses batailles. La vie d’une organisation ou d’un projet s’appuie sur des ressources limitées, et il faut faire avec pour atteindre les objectifs fixés.

Une vision stratégique

Un plan passe donc par une stratégie d’utilisation des moyens et des processus définis. Par exemple, lorsqu’on définit une stratégie de test, on choisira de porter un effort plus important sur les éléments les plus risqués. La même question se pose pour une stratégie qualité ou la constitution d’un portefeuille de projets.

A chaque moment du projet ou de la vie de l’organisation, on est amené à prendre des décisions ou à rendre des arbitrages. Les modèles d’aide à la décision favorisent le consensus autour des choix, et ces choix sont la plupart du temps non binaires, ils consistent à positionner un curseur, en fonction de la situation, de la tendance et de la projection.

Une trajectoire

Prendre conscience de cette question de curseur, c’est se donner les moyens de positionner le curseur en toute objectivité, mais aussi de lui définir une trajectoire. En effet, une décision doit avoir un impact favorable sur la situation, la tendance et la projection, qui permettra alors de déplacer le curseur.

Prenons l’exemple d’un projet de transformation de l’organisation. L’état initial de l’organisation nécessitera un certain volume de moyens alloués à la conduite du changement. Puis l’organisation passera par plusieurs états stables, correspondant à des niveaux de maturité, et la conduite du changement pourra évoluer jusqu’à disparaître en tant que telle, l’amélioration continue devenant auto organisée. Les managers de cette transformation, généralement supportés par des consultants internes ou externes, doivent non seulement définir les objectifs, les étapes ou états stables successifs souhaités et la feuille de route permettant de les atteindre mais aussi le curseur de la conduite du changement et sa trajectoire.

L’important, c’est ce qu’on en fait = « Outcome » (en français… résultat ou finalité)

L’important, ce n’est pas les exigences, c’est ce qu’on en fait. L’important, ce n’est pas les indicateurs, c’est ce qu’on en fait…

Pour vous donner un indice sur ma référence concernant cette formule, tous les éléments de conduite d’un projet ou d’une organisation sont des cartes que vous avez en main. Il ne suffit pas de disposer de ces cartes, il faut les utiliser à bon escient pour développer, piloter et décider.

Ce principe est fondamental, car sans lui, les éléments développés par l’organisation finiront par alimenter les eaux usées du système.

Utile et utilisable

Garder cette idée donne le souci d’éliminer ce qui est inutile (la culture Lean parle de Muda ou gaspillage) :

  • sur-spécification
  • indicateurs non utilisés, voire indicateurs pastèques (verts à l’extérieurs, cachant du rouge à l’intérieur)
  • processus excessif : documents rangés dans un tiroir, introuvables, méconnus, multiplication de réunions, multiplication de circuits de signatures avec les temps d’attente associés…

Mais pour qu’un élément soit utile et utilisable, une certaine qualité de son contenu est indispensable. Or on ne peut pas attendre des données de qualité de la part d’une personne tant que celle-ci n’a pas conscience de leur utilisation, par qui, quand et comment. Et si cette personne s’aperçoit que ces données ne sont plus utilisées, la qualité tombera aussitôt. C’est par exemple le cas des données alimentant des indicateurs.

Utilisé et valorisé

Non seulement les éléments développés doivent être utiles et utilisables, mais encore faut-il qu’ils soient utilisés ! Cela suppose d’analyser régulièrement l’usage effectif de ces éléments, pour mieux les réorienter et les valoriser. Et il est important que tout le monde soit conscient de leur valeur, ce qui implique un effort de communication.

CACAO : de la rhétorique aux principes de management

Comme nous venons de le voir, ce qui pouvait ressembler à une vaste fumisterie en lisant l’introduction de cet article, peut au contraire devenir un socle puissant de principes de management, ces cinq principes ou axes constituant une boussole pour chacun.

Les exemples donnés sont tous issus d’observations répétées et d’expériences réelles, et démontrent que lorsque le management embarque une bonne dose de GBS (cette ATL signifie Gros Bon Sens, et ATL signifie Abréviation à Trois Lettres !), le chemin vers la performances’éclaire rapidement, une fois pavé de « CooperationAlignmentContentsAdjustmentOutcome » (CACAO). Cela illustre le slogan d’inspearit : « Mobiliser par le sens ».

Ce simple modèle CACAO peut aussi être utilisé comme point d’entrée pour établir un état des lieux rapide du fonctionnement d’une organisation, ouvrant la voie à des améliorations tangibles : un véritable booster.

Maintenant, à vous de jouer : vous pouvez, comme indiqué précédemment, simplement placer ces formules en réunion. Mais vous pouvez aussi et surtout, à l’aide de ces principes, prendre un certain recul sur votre activité et rechercher des améliorations individuelles et collectives.

Philippe Aknin, Consultant Performance

Publié le 02/04/2023