Comment concilier la quête d’autonomie des Portefeuilles et des Agile Release Trains avec la complexité des entreprises ?
Optimiser l’organisation du travail autour de la création de valeur est un levier crucial pour atteindre une agilité d’entreprise durable et une réelle efficience économique. Pourtant, en pratique, les systèmes complexes, les Development Value Streams (DVS) transverses aux Operational Value Streams (OVS), les programmes transverses et l’urbanisation historique du SI freinent cette indépendance souhaitée. Comment surmonter ces obstacles ?
Définir des portefeuilles (LPM) et des Agile Release Train (ART) autonomes
Optimiser l’organisation du travail au sein de l’entreprise autour de la création de valeur est essentiel pour atteindre l’agilité économique et prospérer durablement sur le marché. Cette organisation autour de la valeur est un principe central de SAFe qui doit guider la réflexion des organisations pour définir des portefeuilles (LPM) et des Agile Release train (ART) aussi autonomes que possible. Malheureusement cette autonomie recherchée se heurte souvent à la réalité de la complexité des entreprises.
En s’appuyant sur les travaux de John Kotter présentés dans XLR8 (Accelerate), SAFe recommande l’instauration d’une organisation dite « duale ». Celle-ci associe, d’une part, un réseau de collaborations mu par un esprit entrepreneurial, centré sur la création de valeur, représentant la structure organisationnelle agile et, d’autre part, le système hiérarchique traditionnel composé de silos d’expertise. Ces deux structures ne sont pas concurrentes, mais complémentaires : deux faces d’une même pièce, chacune assumant des responsabilités distinctes. La structure hiérarchique assure la stabilité et l’efficacité, tandis que le réseau entrepreneurial peut évoluer de manière organique, s’adapter rapidement au contexte et innover en optimisant la valeur produite. Toutefois, la mise en place d’une telle organisation duale peut s’avérer complexe surtout à grande échelle.
Des frictions peuvent survenir si les responsabilités au sein des deux structures ne sont pas clairement définies. De plus, une transformation réussie exige souvent de revoir, voire de supprimer certains comités de la structure hiérarchique afin d’éviter toute interférence ou redondance avec les événements agiles, aspect parfois négligé dans la mise en œuvre pratique.
Bien souvent également cet alignement autour de la valeur est réalisé en début du programme de transformation Agile, mais rarement revisité par la suite. Pourtant, il devrait être dynamique, évoluant au rythme de l’appropriation des apprentissages de ces nouveaux modes d’organisation du travail et des ajustements stratégiques de l’entreprise pour répondre aux exigences changeantes du marché.
Quand l’autonomie du LPM et des ART se heurte à la réalité
Même si la minimisation des dépendances entre les portefeuilles (Lean Portfolio Management) d’une part et les dépendances entre les Agile Release trains (ART) d’autre part reste un objectif, cette ambition se heurte à la complexité réelle des entreprises. Et bien souvent de nombreuses dépendances demeurent.Cette complexité à identifier une partition sans dépendances découle de plusieurs facteurs :
- L’augmentation des fonctionnalités des systèmes, induite par une concurrence exacerbée, la gestion de l’héritage technique, combinée à des écosystèmes de plus en plus interconnectés et à l’explosion des exigences en sécurité et conformité, engendre des systèmes trop complexes pour être gérés par un seul ART, voire un seul LPM (Lean Portfolio Management).
- Les composants communs à plusieurs Operational Value Streams (OVS), conçus dans un objectif de factorisation et de rationalisation pour faire des économies d’échelle, entraînent inévitablement des Development Value Streams (DVS) transversaux à ces OVS pour servir plusieurs domaines métiers ou plusieurs types de clients en créant des dépendances supplémentaires avec les composants non factorisés.
- Une urbanisation complexe du SI bâti au fil des ans par extension et accumulation, ajoutant des dépendances de plus en plus nombreuses.
Pourquoi il y a-t-il des limites à la taille des portefeuilles et des Agile Release Trains ?
Posons-nous naïvement la question : pourquoi ne pas simplement construire des Agile Release Trains de taille plus importante que la fameuse limite de Dunbar ? SAFe préconise une limite de 125 personnes et l’anthropologue britannique Robin Dunbar 150 personnes.
Ayant eu l’occasion à plusieurs reprises d’accompagner des Agile Release Trains de taille supérieure, il est clair qu’aller au-delà de cette limite est possible, à condition de ne pas adopter une approche dogmatique. Cependant, à mesure que la taille du train augmente, certaines problématiques commencent à apparaître :
- Les réunions de synchronisation (ART Sync) prennent plus de temps à mesure que le nombre d’équipes qui composent le train augmente. Qui plus est, le temps pendant lequel, un sujet donné ne concerne pas une équipe augmente mécaniquement
- Avec l’augmentation du nombre d’équipes, le nombre de dépendances dans l’ART Planning Board croit, rendant l’analyse et la gestion de celui-ci complexe.
- Pendant le PI Planning l’augmentation du nombre d’équipes entraîne soit un allongement de la durée des ‘draft’ et ‘final plan reviews’, réduisant ainsi le temps alloué aux ‘team breakouts’, soit la nécessité de prolonger la durée du PI Planning. À défaut, les ‘draft’ et ‘final plan reviews’ risquent de devenir plus superficielles en raison d’une durée trop contrainte.
- Avec l’augmentation de la taille de l’Agile Release Train, le nombre de problèmes et de risques augmente. Le Release Train Engineer (RTE) peut se retrouver surchargé, ce qui risque de compromettre l’efficacité globale de la gestion du train.
- Avec une augmentation du nombre de membres de l’Agile Release Train, il peut y avoir une résistance plus forte aux changements, rendant les améliorations continues plus difficiles à mettre en œuvre.
- Plus globalement un trop grand nombre de personnes dans le train va rendre plus difficile l’alignement et l’engagement sur une mission commune : la collaboration, la communication, la résolution de problèmes, la gestion des conflits, les arbitrages et la priorisation, la motivation des collaborateurs seront plus lourdes et plus difficiles. Et donc réduire l’efficience de l’organisation.
Ces problématiques mettent en lumière les défis croissants associés à l’augmentation de la taille des trains SAFe. Dès lors, quelles solutions s’offrent à nous lorsqu’un seul Agile Release train n’est pas suffisant pour implémenter un système ou une solution complexe ?
De manière similaire, on peut également se demander pourquoi la taille des portefeuilles est limitée. La réponse est, dans l’ensemble, analogue. Et sur le terrain, j’ai pu constater que des portefeuilles trop volumineux perdaient en efficience.
Conclusion
Le premier levier pour accélérer le time-to-market et réduire les dépendances consiste à aligner l’organisation du travail autour de la valeur que l’on souhaite apporter à nos clients et utilisateurs, un exercice nécessitant un savoir-faire et une approche spécifique que les consultants inspearit maitrisent.
Cependant, déterminer les axes de découpage permettant d’identifier clairement les LPM et les DVS reste une tâche complexe. Dans un prochain article, nous explorerons comment le Machine Learning, en particulier l’apprentissage non supervisé, peut apporter un éclairage précieux. En analysant des distances multidimensionnelles (intégrant le degré de dépendance, la proximité vis-à-vis de l’OVS, etc.), ces approches quantitatives peuvent fournir des pistes pour guider les ateliers.
Néanmoins, il convient de rappeler que, in fine, la valeur et la qualité des décisions reposent sur la manière dont sont utilisées les données, connaissances et observations pour créer un bon alignement et un engagement commun des leaders de l’organisation.
Dans un prochain article, nous examinerons également comment l’utilisation d’approches de type « Collaboration Maps » et « Solution Areas » guident efficacement la mise en œuvre d’une organisation agile du travail plus dynamique et adaptative.
Stéphane Déprès, Consultant