Aptitude à garantir la Qualité : les enseignements du CMMI
Dans la dernière partie du 20ème siècle, la Qualité s’était placée au cœur des enjeux de l’entreprise. « La Qualité, c’était l’affaire de tous ». Trente ans plus tard, on observe un délitement, relayé par plusieurs articles ou interventions, de son rôle dans les activités des organisations. Son influence sur la manière de mettre en place et de réaliser les activités, s’estompe.
Assurer la qualité
Ces interrogations se superposent aux pratiques mises en place dans les organisations qui visent à accélérer toujours plus les rythmes de production, à les rendre de plus en plus itératifs, quitte à s’accommoder de défauts résiduels que l’on espère passagers et résolus à la prochaine livraison.
Assurer la Qualité semble se résumer au renouvellement du panel des certifications de l’entreprise, et pour ce faire à devenir le gardien du temple du Système de Management de la Qualité, assez loin des préoccupations quotidiennes des opérationnels. Petit à petit, derrière le dogme de l’indépendance nécessaire de la Qualité se profile le spectre d’une tour d’ivoire, dont la valeur ajoutée n’est pas toujours reconnue.
Garantir la qualité des produits développés ou des services fournis reste pourtant une aptitude essentielle de toute organisation. Mais sa source vitale n’existe qu’au milieu des Opérations. C’est là qu’elle génère une valeur perceptible par tous et obtient sa légitimité. Pour que la qualité soit l’affaire de tous, elle doit être pleinement intégrée dans le travail de tous et son apport doit être évident pour tous.
Mais parler de valeur -mot valise par excellence- et l’appliquer au mot qualité -autre mot valise- nous oblige à un minimum de rigueur. Par définition, la valeur est multidimensionnelle et nous devons donc distinguer les différentes composantes de ce que les opérationnels eux-mêmes entendent derrière la notion de qualité.
La valeur marché : un produit «juste», sans sur-qualité
Au premier plan, Garantir la Qualité recouvre la capacité à identifier un produit ou un service qui réponde aux attentes des clients, et derrière eux de toute la chaine des parties prenantes qui vont être impliqués dans la satisfaction du client – distributeurs, installateurs, opérateurs de maintenance, … – pendant l’ensemble de son cycle de vie.
Cette aptitude implique la mise en place de l’ensemble des activités permettant d’entendre la voix du client et de la retranscrire en un ensemble de caractéristiques que le produit va satisfaire. C’est cet ensemble de caractéristiques qui sert de référence à tous, et est maintenu tout au long de la vie du produit ou service proposé.
La valeur créée par ces activités est facilement identifiable. Elle se traduit en termes de marketing : Avons-nous défini le produit /service « juste », celui qui trouvera son marché, à un prix juste compte tenu des contraintes de réalisation ? Assez curieusement, dans le vocabulaire courant de l’entreprise, on parlera beaucoup d’éviter la « sur-qualité ».
La valeur d’utilisation : un produit «utilisable et sans défauts»
La seconde dimension découle naturellement de la première. Elle implique de vérifier que le produit ou service proposé répond à l’ensemble des caractéristiques recherchées, mais aussi de s’assurer qu’il remplit sa mission dans le contexte prévu. Cela correspond aux activités de vérification (est-ce un bon produit ?) ou de validation (est-ce le bon produit ?).
Là encore, la valeur créée est assez facile à identifier. Le produit ou le service fourni sont-ils utilisables sans incident pour la satisfaction de tous les acteurs impliqués dans cette utilisation ?
La valeur professionnelle : «C’est du bon boulot»
La troisième notion qui intervient derrière le mot qualité est sans doute moins facile à identifier dans les ouvrages théoriques sur la qualité. On la trouve plutôt dans les livres qui parlent du compagnonnage. Elle est au cœur du concept de professionnalisme.
Elle correspond au travail, à l’expertise que peut apporter un autre professionnel sur les travaux qu’un de ses pairs a réalisé. Derrière cette expertise va se profiler la reconnaissance que « C’est du bon boulot, je n’aurais pas fait mieux ». Mais surtout ces activités permettent, à moindre frais, d’identifier des corrections ou de proposer des améliorations.
La valeur créée ici se mesure dans la capacité à collectiviser l’expérience des opérationnels, à permettre à chacun de profiter dans son travail de l’expérience acquise par tous.
La valeur industrielle : «J’ai fait ce que j’avais prévu»
A l’inverse la dernière dimension qui nous intéressera est au cœur du discours classique sur la qualité. Elle correspond à cette aptitude à « dire ce que l’on va faire, faire ce que l’on a dit »
Dire ce que l’on va faire est le prérequis indispensable pour s’assurer que le processus industriel : procédures et moyens nécessaires à l’exécution des tâches, a été mis en place par l’entreprise. Identifier des écarts entre le réalisé et ce qui avait été prévu permet certes de corriger si besoin des erreurs individuelles, mais surtout de s’assurer que tous les acteurs de l’entreprise ont une même vision sur les écarts dans l’utilisation des procédures et moyens mis à la disposition des opérationnels.
En termes de valeur créée, elle se traduit en particulier par l’assurance que le processus industriel mis en place est correctement utilisé et qu’il est utilisable de manière efficace.
Le modèle CMMI: un outil actuel pour maximiser la valeur
Les figures 2 et 3 sont directement issues du modèle CMMI V2.0. Elles montrent comment cet outil s’inscrit parfaitement dans une démarche d’analyse de la manière dont une entreprise peut organiser son aptitude à assurer la qualité et à mettre en place une démarche d’amélioration de cette aptitude.
- Positionnement de l’aptitude « Garantir la qualité » au sein des activités opérationnelles de production.
- Identification des quatre domaines de pratiques qui contribuent à construire cette aptitude :
- Développement et Gestion des Exigences
- Vérification et Validation
- Revue par les Pairs
- Assurance Qualité des Processus
Le modèle CMMI dont les origines datent du milieu des années 1980 a été complètement refondé en 2017 pour mettre l’accent sur la performance des entreprises. Il impose en particulier d’analyser les activités mises en place -et les activités permettant de garantir la qualité comme les autres – à l’aune de la valeur qu’elles créent.
Cette création de valeur n’est pas immédiate et absolue. En se basant sur le concept de niveau de maturité, le modèle CMMI organise dans chaque domaine, les pratiques en groupes permettant d’améliorer progressivement la valeur créée. Nous avons illustré dans un précédent article comment s’organise cette création progressive de la valeur. Trois groupes de niveau sont fondamentaux :
- Le premier niveau, initial, s’assure que les concepts sont en place, que le travail est fait.
- Le second niveau, discipliné, permet d’optimiser la création de valeur en organisant et focalisant les efforts sur les éléments essentiels pour chaque organisation
- Le troisième niveau, standardisé, améliore encore cette création de valeur en capitalisant au niveau de l’organisation les pratiques et les outils qui ont démontré leur efficacité.
Dans un précédent article, nous avons présenté comment le modèle CMMI nous aide à analyser et mettre en place les pratiques de gouvernance, de mise en place de l’infrastructure nécessaire et de mesure de la performance obtenue, qui vont garantir l’ancrage des pratiques dans une organisation.
Dans de prochains articles, nous nous proposerons donc de tenter d’illustrer comment au travers du modèle CMMI, il est possible de mettre en place cette gouvernance et cette mesure de la performance des activités qui contribuent à assurer la qualité. Nous essaierons également de voir comment ces activités peuvent répondre aux nouveaux défis que posent les approches agiles et le besoin d’accélérer les cycles de développement des produits.
Par Laurent Boidot, Consultant Performance.