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Sous-traitance et exigences non techniques : concilier maîtrise et confiance

Souvent disséminées dans des contrats et leurs annexes, les exigences non techniques ne sont pas toujours formellement identifiées et sont traitées avec moins de rigueur que les exigences techniques. C’est pourquoi, lorsqu’une entreprise a recours à la sous-traitance, elle doit redoubler d’attention et s’assurer qu’aucune exigence n’a été ignorée ! En effet, en cas d’incident, c’est la responsabilité de l’entreprise qui sera engagée et non celle du sous-traitant !

Problématique des exigences non techniques dans un contexte de sous-traitance

Comme nous l’avons vu dans les articles précédents, les exigences non techniques sont souvent un enjeu majeur pour les entreprises. Qu’il s’agisse du développement de systèmes complexes, de produits de grande diffusion ou de services, la violation d’une seule clause du contrat ou d’un seul point de loi peut avoir de graves conséquences le jour où se produit un incident. Ceci est de plus en plus vrai dans un contexte où la sensibilité de la société aux questions d’environnement, de société, de confidentialité et de sécurité, par exemple, s’accroît sans cesse. Autant de domaines que toutes les entreprises ne maîtrisent pas toujours.

Pour une entreprise qui a recours à la sous-traitance, le risque est multiplié : quand bien même l’organisation s’est dotée des compétences requises et des moyens d’analyser et de vérifier la prise en compte de toutes les exigences non techniques à son niveau, comment faire pour s’assurer que c’est également le cas au niveau de chaque sous-traitant et de chaque fournisseur ?

Pourtant, le jour où un problème survient, s’il advient qu’une des exigences a été ignorée, il ne sera pas possible de dire, en désignant le sous-traitant négligeant : « je ne suis pas le responsable, c’est lui ! » même si votre contrat stipule ses responsabilités, c’est votre réputation qui est entachée, et c’est aussi votre business qui en souffrira.

Les pratiques courantes et leurs écueils

Quand une équipe développe un système complexe, jamais il ne lui viendrait à l’idée de transmettre telles quelles toutes les exigences techniques du produit complet dans le cahier des charges de chaque sous-système ou composant ! Mais les exigences non techniques, comme nous l’avons vu dans les articles précédents, sont souvent traitées avec bien moins de rigueur que les exigences techniques. Le plus souvent, elles ne sont pas formellement identifiées, elles sont simplement rédigées de façon narrative, disséminées dans des normes, des contrats et leurs annexes.

La pratique que nous avons le plus souvent observée suit une approche « sédimentaire » : chacun retransmet l’intégralité de ses exigences non techniques au niveau suivant et en ajoute une couche. La Spécification Technique du Besoin envoyée au sous-traitant (STB), par exemple, reprendra dans son chapitre « Documents applicables » l’intégralité des normes citées dans notre propre STB, puis y ajoutera son propre système qualité, sans analyse des exigences qui s’appliquent effectivement. De même, l’Énoncé des Travaux (EDT) reprendra sans discernement certaines exigences contractuelles héritées de notre propre contrat.

La conséquence de ces pratiques ? Le contrat du sous-traitant fait référence à d’innombrables documents annexes. Pressé de répondre à l’appel d’offres dans un délai limité, il s’engagera à respecter toutes les exigences sans en avoir pris connaissance. De fait, le contrat signé, il endosse la responsabilité des problèmes qui pourraient résulter d’un écart, mais il ne sera pas en mesure d’y répondre. On n’évitera pas les problèmes : on leur trouve seulement un coupable potentiel.

Outiller la maîtrise et la confiance

Quand les enjeux sont importants, un minimum de visibilité sur les pratiques de ses fournisseurs et sous-traitants est indispensable ; il faut un support à la discussion et à la négociation pour s’assurer que les exigences les plus importantes sont connues, comprises, pour s’entendre sur qui sera mis en œuvre afin de garantir qu’elles seront correctement prises en compte et vérifiées si nécessaire. Il faut enfin disposer que le sous-traitant dispose de l’expertise nécessaire dans chaque domaine (selon le contexte : juridique, contraintes export, droit du travail, RSE, matières dangereuses, …)

Comment cela s’applique-t-il chez nos sous-traitants et fournisseurs ? Les techniques d’allocation et de revues abordées dans l’article « Gérer les exigences non techniques pour des systèmes complexes » sont également applicables ici, avec la particularité que l’engagement qui en résulte est contractuel, et que les activités nécessaires doivent être prises en compte dans les devis des sous-traitants.

Évidemment, dans le cadre d’un appel d’offres, il est impossible de conduire ce travail avec chacun des candidats. Il est toutefois possible — sinon recommandé — d’avoir sélectionné les sous-ensembles d’exigences non techniques les plus cruciales, et de demander que chacun dans sa réponse détaille comment il compte y répondre (compétences possédées sur les sujets concernés, efforts, moyens, processus…) L’analyse des réponses à l’appel d’offres prendra en compte la façon dont chaque candidat prend en compte les exigences non techniques critiques, comme on le fait pour les exigences techniques.

Sous-traitance de rang 2

Bien souvent, nos sous-traitants ont les mêmes lacunes que nous et rencontrent les mêmes difficultés à garantir que leurs propres fournisseurs et sous-traitants prennent bien en compte les exigences non techniques. Sans doute se contentent-ils d’ajouter une couche au mille-feuille réglementaire et normatif.

Nous vous invitons à donner l’exemple à vos sous-traitants ; invitez-les à se comporter comme vous-mêmes avec leurs propres sous-traitants et fournisseurs de rang 2, en sélectionnant les sous-ensembles d’exigences non techniques les plus critiques, en effectuant un travail d’allocation et en effectuant sur les exigences concernées un suivi particulier.

Synthèse

La pratique habituelle consiste à transmettre sans discernement toutes les normes qui nous sont applicables à nos sous-traitants, avec l’idée sous-jacente qu’ainsi, on est certain de ne rien oublier.

Le résultat est que le sous-traitant s’engage souvent sans avoir pris connaissance des contraintes, sans s’être doté des moyens de respecter certaines exigences non techniques critiques, faisant courir des risques au contrat, au projet, au produit et, en fin de compte, à nos propres engagements et à notre réputation.

Les techniques abordées dans l’article « Gérer les exigences non techniques pour des systèmes complexes » s’appliquent également aux sous-traitants, et compte tenu des aspects contractuels et juridiques de la relation client-fournisseur, elles sont même indispensables.

Dans un prochain article, nous expliquerons le rôle-clé que peuvent jouer les acteurs de la fonction Qualité vis-à-vis des exigences non techniques : ils ont un point de vue central et objectif sur la couverture de ces exigences conformément aux obligations contractuelles et aux processus de l’entreprise.

Philippe Aknin et Rodolphe Arthaud, Consultants Organizational Performance inspearit

Publié le 05/05/2022