Guide pratique pour lancer un LPM
Dans un contexte où les entreprises cherchent à gagner en réactivité et en efficacité, il devient essentiel d’adapter rapidement les investissements aux priorités métier et de concentrer les efforts sur ce qui crée réellement de la valeur. Le Lean Portfolio Management (LPM) permet précisément cela : en alignant stratégie et exécution, il offre un cadre pour piloter les initiatives selon leur contribution aux objectifs de l’entreprise, plutôt qu’un découpage budgétaire rigide. Issu de notre expérience, cet article propose une trame synthétique pour guider une mise en place progressive, efficace et évolutive du LPM.
1. Poser les bases du LPM
Dans beaucoup d’organisations, la gestion des portefeuilles repose sur des mécanismes anciens, avec des circuits budgétaires complexes et une gouvernance centralisée. Le passage au LPM change de logique : il ne s’agit plus de suivre des projets à coups de jalons, mais d’adopter un pilotage plus souple, centré sur la valeur créée et la contribution aux priorités de l’entreprise, afin de mieux servir les métiers.
Ce changement passe par une revue en profondeur de la gouvernance et par l’introduction d’outils et méthodes adaptés, que nous détaillons ici. Nous identifions quatre piliers pour poser les bases d’un LPM efficace :
- Acculturer : développer une culture de pilotage par la valeur via des actions ciblées de sensibilisation, formation, accompagnement, et des pratiques collaboratives durables.
- Aligner : assurer un alignement stratégique clair entre l’entreprise et ses LPMs, pour sécuriser une gestion distribuée et décentralisée des portefeuilles.
- Clarifier : définir les rôles et responsabilités pour fluidifier l’organisation.
- Outiller : mettre en place des outils adaptés, visuels, simples et connectés au réel.
Ces piliers permettent d’ancrer une transformation pragmatique et progressive.
2. Mise en œuvre opérationnelle du LPM : un LPM d’Epic
La première étape consiste à identifier un périmètre pertinent pour initier et lancer un LPM. Le choix dépend des opportunités et de l’envie du management de s’engager. Mieux vaut commencer là où l’adhésion est forte, pour avancer rapidement.
Une fois le périmètre choisi, une core team est constituée : un sponsor, des représentants métiers et IT, et un architecte d’entreprise pour porter la vision. Cette équipe, élargie si besoin, forme ensuite le collectif de portefeuille.
Avant de démarrer, cette équipe doit être acculturée aux fondamentaux du LPM : cycle de vie des Epics (illustré par le Kanban d’Epics), instances du LPM, rôles de Business Owner, Epic Owner, VMO, responsabilités des architectes et rôle des patrons IT. Ce travail, contextualisé par des coachs, permet de projeter concrètement cette nouvelle manière de travailler dans l’entreprise.
Pour limiter la complexité, le portefeuille est centré sur les Epics. Les dimensions avancées — financement capacitaire, saisie des temps, gestion de l’immobilisable — viendront plus tard.
Cette première marche permet d’activer l’acculturation, la clarté et l’outillage.
Par exemple, dans une organisation leader du secteur assurantiel français, confrontée à une transformation d’envergure, un LPM a été lancé pour piloter les Epics liés aux nouveaux produits et à la relation client. Une « core team » réunissant Business Owners, responsables IT, un architecte d’entreprise et un VMO a été mise en place. L’équipe a bénéficié de formations ciblées et de guides par rôle. Le format des Epics a été standardisé. Un Kanban d’Epics a été mis en œuvre dans Jira, avec Confluence comme référentiel documentaire. Le suivi des consommés a été automatisé à partir des sprints, permettant de visualiser tendances et lead time. Cela a facilité la synchronisation métiers/IT et permis d’éviter la complexité du financement capacitaire au démarrage.
Comme dans toute transformation, il peut y avoir des résistances. Nous avons constaté qu’elles diminuent quand les acteurs perçoivent clairement ce que cela leur apporte. L’accompagnement sur le terrain, la clarté des rôles et une montée en compétence progressive sont clés.
Lorsque d’autres portefeuilles sont lancés, les besoins d’alignement se renforcent. L’équipe de transformation (type LACE) doit alors s’en saisir pour adresser les questions d’alignement, de financement et de gestion budgétaire.
3. Garantir un alignement de vos LPMs entre eux et avec la stratégie d’entreprise
Après la création de plusieurs LPM et quelques mois de fonctionnement, les premières interdépendances apparaissent, notamment autour des grandes Epics stratégiques. Comment s’assurer que chaque LPM contribue à la stratégie globale et partage les mêmes priorités ? Comment concilier ces sujets d’entreprise avec les priorités locales ?
C’est là que le pilier alignement prend toute son importance. L’outil central souvent utilisé est celui des OKR (Objectives and Key Results). Ils permettent de définir des objectifs qualitatifs au niveau de l’entreprise, associés à des résultats mesurables.
Chaque LPM construit ensuite ses propres OKR pour exprimer sa contribution aux objectifs globaux. Ces OKR sont partagés avec le management pour validation conjointe, assurant cohérence et engagement partagé.
L’accompagnement est crucial. Il ne s’agit pas seulement de produire des OKR, mais d’animer une dynamique d’alignement, de priorisation et de sens. Il faut éviter les dérives (KPI déguisés, listes d’activités). Un cadre léger, accompagné par des coachs, aide à produire des OKR utiles, focalisés sur les résultats et porteurs de sens.
Enfin, des temps réguliers de synchronisation entre LPMs autour des OKR renforcent la cohérence stratégique, permettent d’identifier des synergies, d’arbitrer les dépendances et de réajuster les priorités. Par exemple, dans un portefeuille que nous avons accompagné, des revues stratégiques annuelles élargies ont été organisées : chaque LPM présentait ses OKR et ses jalons partagés. Ensuite, des « corners » thématiques permettaient aux participants de découvrir les feuilles de route, priorités et perspectives à 12 mois des autres portefeuilles, favorisant échanges et connexions opérationnelles.
Conclusion
La mise en place d’un LPM ne repose pas sur une refonte brutale, mais sur une transformation progressive, structurée et contextualisée. En s’appuyant sur les piliers évoqués et les éléments de base du LPM, vous pouvez lancer vos premiers LPM sans complexité excessive.
Ces premiers portefeuilles ancrent le pilotage par la valeur et installent un fonctionnement robuste, fondé sur la collaboration, la clarté des responsabilités et des outils adaptés. Il ne faut néanmoins pas sous-estimer les résistances possibles, fréquentes dans ce type de transformation : elles tiennent souvent à une mauvaise compréhension des objectifs, à des doutes sur la valeur de la démarche ou à la crainte de perdre de l’influence sur des sujets historiquement traités en silos.
Ce premier niveau de LPM constitue déjà un cadre d’agilité suffisant pour mieux servir les métiers, sans attendre la mise en œuvre de mécanismes plus avancés comme le financement capacitaire de vos trains et équipes produit.
Abdelkrim Ait-Said, Consultant